Juridique

Peut-on dénoncer son employeur ?

Des activités illégales ou des abus de droit peuvent se produire dans n’importe quelle organisation, privée ou publique, grande ou petite. Ces méfaits prennent de nombreuses formes : corruption, fraude, malversations ou simplement des actes de négligence. Non seulement les comporte-ments méritent d’être corrigés mais encore ces « activités » portent parfois gravement atteinte à l’intérêt public. Les salariés, mais aussi les clients ou fournisseurs d’une entreprise, sont souvent aux premières loges pour repérer des agissements qui leur paraissent hors la loi. C’est à la fois une position privilégiée pour informer ceux qui peuvent y mettre fin et exposée quand on prend l’initiative de dénoncer les irrégularités. Personne ne souhaite vraiment connaître le sort d’un Edward Snowden ! Dans l’entreprise, le lanceur d’alerte ne sera pas nécessairement un représentant du personnel. Tout salarié peut signaler des agissements illicites ou des actes dangereux dans la société qui l’emploie. Le Conseil de l’Europe parle d’alerte lorsque les révélations concernent des activités « qui constituent une menace ou un préjudice pour l’intérêt général ». D’accord, mais quelle protection existe pour celle ou celui qui ose lancer l’alerte ? Le sujet de la protection des lanceurs d’alerte a été débattu durant longtemps au niveau national mais également au niveau européen avec le constat d’une protection inégale et fragmentée. La crainte de représailles dissuade encore souvent les lanceurs d’alerte à signaler leurs préoccupations. Il est aussi vrai que le sujet n’a été abordé que très récemment. Il fallait déjà s’entendre sur la définition du lanceur d’alerte et formaliser les procédures de signalement. Il existait bien quelques esquisses de protection et des lois partielles qui se sont succédées. Certaines imposaient notamment à des catégories de population (autorités, officiers publics, fonctionnaires, personnel des établissements sociaux et médico-sociaux) de dénoncer des faits délictueux. Le CE, le CHSCT alors ou des salariés signalant une discrimination ou un harcèlement sexuel ou moral prenaient aussi l’initiative. Les textes interdisaient toute sanction à leur égard s’ils dénonçaient de bonne foi des faits condamnables correspondant à une alerte reconnue par une loi. Cet ensemble législatif demeurait très fragile. D’ailleurs la France a été montrée du doigt pour son incapacité à sanctionner efficacement les manquements à la probité et vivement critiquée par les organisations internationales et les ONG.

Un élan depuis la loi Sapin II ?

Adoptée le 9 décembre 2016, la loi dite « Sapin II » n’a pas tout réglé mais elle avait toutefois l’ambition d’offrir un meilleur cadre législatif à la lutte contre la corruption et le mérite de définir un véritable statut aux lanceurs d’alerte. Son article 6 leur garantit ainsi une protection sous certaines conditions et oblige tout employeur d’une entreprise d’au moins 50 salariés de proposer des dispositifs d’alerte interne. La Commission européenne a présenté à son tour un ensemble d’initiatives, le 23 avril 2018 : une proposition de directive sur la protection des personnes dénonçant des infractions au droit de l’Union, ainsi qu’une communication établissant un cadre juridique complet pour protéger les lanceurs d’alerte en vue de défendre l’intérêt public au niveau européen, avec la mise en place de canaux de signalement facilement accessibles, l’obligation de préserver la confidentialité, l’interdiction de représailles à l’encontre des lanceurs d’alerte et l’adoption de mesures de protection ciblées. La directive adoptée est ainsi entrée en vigueur le 16 décembre 2019 et les États membres avait jusqu’au 17 décembre 2021 pour la transposer dans leur législation nationale. Dans cet esprit de transposition, mais également d’aller plus loin que la loi Sapin II, le député MoDem Sylvain Waserman a présenté une proposition de loi sur les lanceurs d’alerte qui a été plutôt bien accueillie par l’ensemble du monde associatif. Ce 1er février 2022, sénateurs et députés, en commission mixte, se sont mis d’accord sur un texte de loi transposant la directive européenne. Une étape importante est franchie.